3 mars 2004
Savoir renoncer
Journal de BordLa mer doucement nous a pris, le corps s’est habitué a ses mouvements, à ses humeurs, à la respiration de la houle que l’on sent vivre autour de nous. On peut apprendre à connaître la mer mais il faut être conscient de ses limites et rester humble. Nous serons toujours face à elle comme des enfants voulant domestiquer un animal sauvage.
Ce voyage est un rêve de gosse, rejoindre le grand continent blanc. C’est un rêve que nous vivons à chaque jour depuis plusieurs mois maintenant, pour lequel nous nous donnons sans compter et que nous avons plaisir à partager avec ceux qui nous suivent. On ne remerciera d’ailleurs jamais assez les gens à terre qui nous secondent comme Didier notre webmaster, Samuel, Sylvie ou encore Roselyne du carrefour des sciences, qui rendent notre aventure immédiatement disponible à tous et qui nous aident quoi qu’il arrive. Pourtant nous traînons depuis notre départ de Cape Town un fardeau dont nous n’arrivons pas à nous défaire. 15 jours de retard à attendre une pièce moteur, 15 jours qui ne se rattrapent pas et pourtant nous avons continué d’y croire et de travailler dans le sens que nous nous étions fixé.
Et puis hier soir, un message du chef de la base Dumont d’Urville (DDU) est venu briser notre course et faire voler en éclat notre rêve. L’Astrolabe, le navire ravitailleur s’en va et le pack à la dérive n’est plus qu’a 130 milles de la base et s’en rapproche au rythme terrible de 2.5 milles par heure. D’un jour à l’autre la Terre Adélie va entamer son grand hiver et la mer se fermer complètement pour 9 mois. Que ce soit les hivernants de DDU qui ont déjà vu les températures chuter et les oiseaux partir, le commandant de l’astrolabe qui navigue là bas depuis 15 ans, les ingénieurs météo et toutes leurs cartes satellites, tous sont formels, continuer ainsi et plonger vers DDU est des plus dangereux. Cela serait se heurter au pack et si par chance nous réussissions à passer, cela nous condamnerait presque à coût sur à un hivernage. Alors que faire ? Depuis notre escale de Heard nous faisons route au Nord pour échapper à une terrible dépression qui s'étend des 40èmes aux 60èmes, générant des vents puissants supérieurs à 50 Noeuds. Les vagues croisées se formant sur de telles distances sont des plus destructrices. Là encore, il ne semble donc pas y avoir de solutions pour devancer l’hiver.
C’est avec la mort dans l’âme que ce matin nous avons décidé de renoncer à la Terre Adélie et à nos rêves de glace. Mais quoi qu’il arrive nous ne renonçons pas à naviguer, à découvrir et à rêver. Nous faisons route désormais vers la caldeira effondrée de l’île St Paul pour y découvrir encore une fois les vestiges du temps des phoquiers, témoigner, et profiter, il faut le dire, de ces eaux qui regorgent de langoustes. De là, nous rejoindrons Hobart en Tasmanie pour aller y chercher visas et autorisations afin de redescendre visiter les îles subantarctiques de Macquarie, Aukland, peut-être Campbell et les Snares avant de rejoindre la Nouvelle Zélande.
Dumont D’Urville est désespéré mais si la course s’arrête, alors le présent sera infini. C’est là et nul part ailleurs qu’il faut aller chercher le bonheur et le plaisir. « Rien n’est à espérer, tout est à vivre… ». Voilà sans doute la grande leçon d’humilité que nous offre la mer, accepter l’incertitude et vivre la vie immédiate.
A très bientôt donc pour la suite d’un voyage qui pour être différent n’en sera pas moins enrichissant.
Position le 01/03/04 à 12:30 UTC : 48 °29.218 S 79°18.173 E
Toute l’équipe de Périple Terre Adélie