3 avril 2004

Le retour

Journal de Bord

La décision que nous avons prise de ne pas descendre en Terre Adélie a été difficile pour nous mais pleine de bon sens puisque 10 jours plus tard nous apprenions que la base de Dumont D’Urville était entourée par la glace de mer et le pack. Nous avons essayé jusqu’au bout, mais il est parfois sage de savoir renoncer. Désormais nous reprenons quelques forces dans le district de St Paul-Amsterdam.

Ici tout nous dépayse, tout nous change. La mer s’est brutalement réchauffée au Nord des 40èmes, le climat s’est fait plus doux et, bien que le vent soit encore parfois violent ici, le vol des albatros à bec jaunes qui suivaient notre bateau s’emblait n’être plus qu’une suite de longues glissades paresseuses. Pourtant, une fois à l’intérieur du cirque de St Paul, notre escorte ailée a disparu, avalée par la gueule des nuages. Le ciel s’est vidée de ses oiseaux. Le vent est tout nu. Etrange atmosphère. Depuis le début de notre périple, c’est la première fois que nous ne sommes pas entourés d’oiseaux. Bien sur il y a les derniers gorfous sauteurs de la colonie que l’on voit parfois sauter de pierres en pierres pour rejoindre la mer après leur mue, mais le ciel, lui, reste vide ou presque. Parfois un skua vient inspecter la plage, parfois un fou plonge vers le large mais il n’y a aucun albatros ou grand pétrel pour égayer ces bouquets de mer qui viennent fleurir sur la passe de roches noires. Il y a longtemps, l’île était peuplée d’oiseaux mais les rats, les chats et autres animaux introduits et qui ne furent éliminés pour certains que récemment (programme de réhabilitation écologique de l’île St Paul, 1997) causèrent des dégâts considérables sur l’île. Ici, comme dans les autres îles subantarctiques, l’homme est venu troubler ce fragile écosystème. Au 19ieme siècle, les phoquiers qui venaient sur l’archipel chasser les otaries pour leurs fourrures ont décimé cette population et apporté avec eux bien des maux. Mais cette époque est révolue. Désormais protégée, étudiée, l’otarie se réinstalle sur les plages, recolonise les côtes et St Paul retrouve ses couleurs. Les jeunes otaries, dont la mue commence à peine, jouent dans les eaux plus calmes du cratère. Elles sont nombreuses autour du bateau, mordillant les haussières, tournant, virevoltant, jouant avec le moindre bout qui traîne. Bientôt elles suivront leurs aînées vers la passe et se joindront à un groupe pour partir chasser à leur tour. Pour l’heure les plages intérieures de l’île sont encore pleines de mères qui allaitent.

Autour, le cratère tombe à pic, avec des moutonnements de fougères, une belle peau d’herbe verte et des vagues sombres de tussoc et de scirpe qui rendent la marche difficile. Ici et là percent des barres rocheuses, des épaulements de pierres nues et les traits colorés de la terre rouge. Au fond du cratère, des fumées discrètes, vaporeuses, viennent se mélanger au bleu du ciel. Elles s’échappent de la terre, des entrailles de l’île et rappellent l’origine volcanique de ce petit éden. Il y a aussi des sources d’eau chaude qui ruissellent pas endroit.

Les jours se succèdent les uns aux autres, nous apprenons St Paul.

L’aube est là. Presque. C’est la plus petite portion de jour possible, la première goutte repliée de lumière que dilue encore la nuit. L’île s’éveille.

Une robe que le vent déchire épinglée à un rayon de jour, une vague dépouillée de ses artifices d’écumes roule sur la plage. Les algues dansent, les galets murmurent comme des oiseaux, c’est le ressac.

L’île de St Paul est unique. Véritable anneau minéral dans l’immensité bleue, où nous avons réappris doucement la terre. Pourtant il n’est pas possible de rester éternellement là et il nous faut penser à la suite. Après bien des milles parcourus, après Crozet, Kerguelen, Heard et maintenant St Paul, après bien des joies et bien des découvertes, nous avons décidé d’explorer chacun des chemins différents. A la façon de Charles. M Goodridge et de ses compagnons (Marins du 19ème) dont certains restèrent à St Paul et d’autres à Amsterdam (le nom des îles étaient inversés à l’époques) Pierre Emmanuel et Romain ont choisi de débarquer sur l’île d’Amsterdam avant de remonter à l’île de la Réunion tandis que Jacques prépare sa navigation vers l’Australie dans l’alcôve du cratère.

Nos sacs sont pleins d’une multitude de photos, de films et des échantillons qui seront bientôt analysés au Québec. Les cahiers d’observations d’oiseaux ont été confié à un chercheur du Centre d’Etude Biologique de Chizé présent à Amsterdam et qui les ramènera avec lui dans quelques jours. Inventorier toutes les deux heures les oiseaux autour du bateau cessa très rapidement d’être un travail pour devenir un plaisir. La mer à aiguisée notre curiosité et nous avons tous hâte de connaître les résultat des « manipes » que nous avons faîtes. Ces milliers de kilomètres parcourus furent une source constante d’inspiration. Nous avons dans la tête des montagnes de souvenirs et dans nos oreilles soufflent encore le vent du large et ses histoires de mer. Nous avons tant appris. Si le voyage en temps que tel s’achève, il reste beaucoup encore à faire pour nous. Nous serons bientôt de retour pour vous faire partager nos histoires et vous montrer films et photos. Nous savons que des classes ont suivi avec intérêt toute notre aventure et nous serons heureux de partager avec elles le fruit de nos travaux et de découvrir le leur. En attendant, nous savourons notre passage ici.

« Il n'y avait pas d'horizon, il n'y avait que la route, mais il fallait voir au bout ce qu'il y avait. Il était parti voir ».

Deux oiseaux inventent le ciel
Là ou commence le voyage
Là où tout commence, là où l’homme pénètre le monde
La chair déstructurée les yeux multipliés
L’esprit
Dans le printemps gras d’une vie
Réinvente les fleurs du jour
Le temps et les différences
Le temps en graviers d’eau
Sur la route écervelée
Voyager

Posted by didier at 02:36 PM