19 février 2004

Le Bon Abris

Chronique du skipper

Mouillage du Bon Abri, celui dont rêve tous les marins des temps modernes aux yeux rougis par trop d'écran radar, et aux nerfs à vifs par l'intense concentration que nécessite une navigation de cabotage.

Tout est nouveau, tout est vierge, tout n'est que splendeur. Ici la plus grosse difficulté est de faire les bons choix. Choix de route dans le dédale des îlots, roches et brisants, choix des spots d'escales ou l'impression donnée par une carte pas assez détaillée fausse le jugement.

Pour le moment les surprises vont dans le bon sens et la raie de lumière des chanceux vient contraster la saveur d'un plat sucre-sale auquel on prend vite goût. Pourtant les quilles grattent un peu trop souvent le fond mais il parait qu'il n'y a pas de crabes aux Kerguelen.

Oui nous y sommes bien. Chacun de nous a maintenant dévoilé aux autres membres de l'expédition, tant à bord qu'à terre (ne les oublions pas), ses qualités cachées par pudeur ou modestie, mais aussi ces mauvais travers dont on ne se défait pas facilement. Nous ne sommes plus a l'heure des conseils et des remarques. Chassez le naturel et il revient au galop! Ici il faut être performant et seuls les résultats comptent. Ca devient même une consigne de sécurité comme si les éléments naturels dans une nature hostile rodaient au-dessus de nos têtes, tel le skua, guettant le faux pas mortel. Une cheville foulée sur les roches glissantes dans une course à la lumière, chargé comme un mulet et l'expédition s'arrête. Les pièges et les dangers sont nombreux et aucune check-list n'en viendrait à bout.

C'est bien ici que le mot LIBERTE prend tout son sens, là où le plaisir est à la hauteur de la sanction redoutée. Bien sûr, il y a des limites et pourtant nous savons trop que c'est la suite du programme qui sera la plus dure. Car quand les bulles prendront la forme solide, que leur transparence envoûtante cachera mal le degré de latitude qui les a modifiées, alors il faudra être vigilant, pour soit mais aussi pour les autres.

05 heures locales, heure du bord. 19 février 2004.

Jacques Peignon, Skipper de 'Glory of the sea'

Posted by didier at 08:46 AM