17 février 2004

Arrivée au ïles Kerguelen

Journal de Bord

Le Périple arrive aux Kerguelens, Pierre-Emmanuel et Romain vous livrent dans ces deux textes leurs premières impressions.

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Baie de l'Oiseau,
Je ne suis pas marin, pas encore. Si je le deviens ce sera sans doute pour avoir le plaisir de redécouvrir une terre nouvelle à chaque escale. Depuis notre départ de Cape town, nous avons été « baptisés » par quelques belles dépressions, nous avons plongé notre étrave dans des vallées sombres creusées par des montagnes d'eau et traversé des crêtes d'écume qui ressemblaient à des haies de fleurs blanches. Nous avons connu le plaisir de la vitesse, des ciels bleus et des nuages d'oiseaux.

Maintenant nous gouttons les joies de l'escale. 4 jours après avoir quitté Crozet, les premières îles de l'archipel de Kerguelen sont en vue et Glory of the sea glisse paresseusement devant les Nuageuses, véritable sanctuaire pour les oiseaux marins et les otaries. Albatros, pétrels et damiers du Cap suivent notre voilier en grand nombre, curieux de ce drôle d'animal moitié poisson, moitié oiseau, assoiffé du même vent qu'eux. Ils nous accompagnent jusqu'aux portes de la baie de l'Oiseau où se dresse l'arche effondrée des Kerguelen, vestige minéral, symbole des îles de la désolation.

Nous continuons de pénétrer plus profondément dans la baie alors que le soleil décline à l'horizon, découvrant une belle plage de sable noire bordée de falaises et de promontoires rocheux. Les quilles relevées, Glory of the sea vient poser son étrave sur la plage sans même effrayer les manchots royaux qui restent là, curieux, à contempler ce visiteur du soir.

Sitôt posés, nous sautons tous les trois à terre pour regarder, photographier, filmer ce petit havre de paix. C'est, comme lors de notre escale à Crozet, une boulimie de couleurs, de bruits et d'odeurs, un régal pour les sens. Nous avons dormis là, rassasiés de toutes ces belles images, de cette lumière rasante qui embrasait les pentes herbeuses et comblés par un bon repas.

A 2 heures du matin, nous devançons le réveil pour nous dégager à l'aide de la marée montante. Sans un bruit, Glory of the sea est tiré de sa plage par la mer, furtivement, sur la pointe des pieds, à travers les forêts de laminaires, pour ne pas réveiller la baie qui dort encore.

Nous attendons. Voilà le jour. Ce n'est encore qu'un projet, un embryon lumineux que la nuit ignore, mais il allume doucement sur l'horizon des bûchers de lumière claire. Le jour se fait, nous sommes au bord du monde et nous le regardons silencieux. Il gonfle lentement et soudain il surgit à l'Est. En une seconde s'est le grand basculement et le soleil est là, trempant timidement ses premiers rayons froids dans les fjords de Kerguelen. Pour nous c'est le signal et Glory of the Sea s'élance à la découverte du Nord de l'archipel, explorant les anses et les baies, à la découverte de la faune, de la flore et des vestiges du passé. Sur une plage, au fond de l'anse du jardin, de vieilles membrures en bois sortent du sol comme un squelette sombre, derniers vestiges d'un navire ancien, dernières traces d'un naufrage que doucement le sable efface et engloutit.
Ce soir nous irons nous abriter au fond de l'anse Ring et les épreuves d'hier semblent s'oublier dans la contemplation de l'instant qui passe.
Pierre-emmanuel.

10:00 UTC, l'île de Croy posée sur l'horizon pointe devant l'étrave. L'archipel des îles Nuageuses se rapproche au fil des minutes et nous dévoile lentement ses splendeurs. C'est ce petit chapelet d'îles que j'ai d'abord observé depuis le Marion Dufresne lors de mon arrivée aux Kerguelen en 1998. Alors ténébreuses, elles avaient surgit de la brume tels de lugubres pièges pour navires et aujourd'hui sous un soleil radieux elles s'apparentent à de petits jardins d'Eden. Escortés par une nuée d'albatros et de pétrels, nous contournons l'île de Croy par le Nord et c'est son flanc verdoyant, parsemé de colonies de gorfous dorés et d'albatros à sourcils noirs, qui s'offre à nos yeux. Plus à l'Est, nous laisserons sur babord l'île de Ternay et son arche de la pointe du Sabord avant de doubler le cap Aubert puis le cap d'Estain.
La baie de l'Oiseau n'est plus qu'à quelques milles et nous décidons par conséquent d'aller y mouiller pour la nuit à venir. C'est en ce lieu qu'en 1774, Yves Kerguelen de Trémarec laissa un message lors de son second passage sur l'île qui porte désormais son nom. Deux années plus tard l'illustre explorateur James Cook le retrouvera et y apposera un paraphe en rapport à l'escale du « Révolution » et du « Discovery ». A bord du « Glory of the Sea », la grand voile a été affalée et nous louvoyons désormais dans un dédale de Macrocystis en direction du fond de la baie. Dans l'ataraxie de cette fin d'après midi, la surface de l'eau prend les teintes d'une toile impressionniste dans laquelle la distorsion des éphémères reflets des oiseaux semble les faire accéder à une nouvelle dimension. L'écho du hurlement des albatros fuligineux résonne dans ce cirque de basalte. L'étrave vient lentement épouser le sable de la grève, les deux quilles relevées dans un premier temps stabiliseront le navire immobilisé une fois rabaissées.
Les tons chauds de la lumière rasante du crépuscule enveloppent la baie avec en filigrane les gigantesques piliers de l'arche de Kerguelen.
L'esprit vagabonde dans la transparence d'un sillage; celui du vol aquatique des manchots royaux.
Je réalise enfin que nous sommes aux Kerguelen. J'avais découvert cette baie de l'Oiseau un de ces jours où, dans d'écumeux embruns ciel et mer ne font qu'un, et je la redécouvre sous un tout autre visage.
Les jours à venir seront certainement riches en découvertes, Kerguelen l'envoutante nous laissera vraisemblablement entrevoir quelques une de ces multiples et magiques facettes…
Romain

Position le 17-02-04, Baie Ring: 49'05.218 Sud, 68'59.307 Est

A bientot
L'equipe de Glory of the sea

Posted by didier at 07:48 PM